Français

# 2. Steak Tartar.


Je finis de sécher mes cheveux, mis une blouse et entrai dans le séjour.
Je trouvai une magnifique table mise. Une nappe en dentelle beige sur une autre bordeaux. Pas deux assiettes pareilles, elles étaient décorées à la main avec des illustrations qui pourraient bien être de Miró. Un assortiment de fromages présentés sur un plateau en bois de cerisier en forme de pomme. Sur un plateau d'argent, trois types de salade vertes, les feuilles disposées en éventail avec des tomates cerises, et son assaisonnement. Cette présentation se complétait avec un panier en toile compartimenté, où l'on trouvait du pain de seigle, du pain grillé et des petits pains avec des graines.
Il servit du vin dans deux verres à pied, m'en donna un, et fit le geste de porter un toast me regardant dans les yeux, sans rien dire. Il but une gorgée et laissa son verre à côté du mien.

Sur un pratique guéridon il avait disposé quelques ingrédients. Il s'installa derrière la table, face à moi, de sorte que je puisse assiter au premier rang à la préparation. Il commença à couper deux échalotes.

- As-tu aimé le bain ? demanda-t-il.
- Beaucoup. Je tiens à te remercier, je ne me souviens pas de quelque chose pareille.
- Ne me remercie pas, j'avais vraiment envie, dit-il presque chuchotant.
Il travaillait debout pendant qu'on bavardait, avec des regards qui cachaient des poivrons de Padrón*.  Il hacha des câpres et du persil, puis il les mit de côté.

- Les huiles sont spéciales, selon ce qu'on m'a dit à l'herboristerie. Je les ai acheté pour toi. J'ai demandé qu'elles aient un effet tonifiant et stimulant.
- Eh bien, pour l'instant je suis tonique, et le parfum qu'elles ont laissé sur ma peau est délicieux.
- Tant mieux, des délices sur ta douceur.
- Merci ...

Il jeta un jaune d'oeuf dans un bol, il batti, rajouta de la moutarde, quelques gouttes de citron, remua, saupoudra de sel et de poivre, et commença à les lier avec un peu d'huile.

- Je compte vérifier ce parfum tout de suite, dit-il, pendant qu'il introduisait une cuillère dans le mélange et le goûtait.
- En tout cas, j'ai ressenti l'effet stimulant pendant le massage ...
- Ça me fait plaisir, c'était le but. Il ajouta à la mixture quatre cents grammes d'aloyau haché, les échalotes et un peu de cognac. Il mélangea.

Pendant le bain, la salle décoré avec trois bougies rouges et la harpe du Maître Zabaleta, de ses mains il dessinait  des cercles sur ma peau jusqu'au dernier recoin de mon anatomie. Lorsqu'il arrivait au bord de l'abîme, il revenait, tout en faisant ces cercles, de nouveau, sur ses pas. Il variait le rythme et la pression, il faisait comme un peintre. Chaque fois que ses doigts atteignaient la limite, la tentation que je ressentais était de plus en plus grande, mais les instructions qu'il m'avait données avant le bain m'en empêchaient: me laisser faire, c'était la seule exigence.

Il prit les deux assiettes, et il commença à servir la viande, qu'il rangeait pour former un pavé.

Il servit le plat principal, saupoudré du persil et des câpres. Il enleva son tablier, en dessous duquel il avait roulé et attaché une serviette autour de sa taille. J'imaginai que les préparatifs ne lui avaient pas laissé le temps de s'habiller, ou peut-être... si.

Dans mon assiette, j'ai trouvé un pénis en érection avec ses appendices. Je souris, c'est clair, pour la surprise. Puis je regardai dans son assiette, sur laquelle reposaient une paire de seins parfaits, de viande hachée. Dans les deux cas, le persil et les câpres stratégiquement placés. Je le regardai, et je me sentais comme ces petits chiens qui sortent se promener et qui, en regardant leur maître avec la tête penchée semblent demander: qu'est-ce qu'on fait maintenant?

- Bon appétit. J'espère que tu aimes, dit-il en prennant son verre de nouveau pour prendre une gorgée. Lorsqu'il a deplié sa serviette, celle-ci est tombé, et il a disparu de l'horizon de la table pour la récupérer. J'attendais qu'il réapparaisse pour commencer à manger et, cependant, je regardais mon steak tartare. La lumière était douce, la musique aussi. Sa tête n'émergait toujours pas lorsque j'ai senti ses doigts sur mes deux genoux, qu'il  écartait avec le soin qu'on prend pour ouvrir un manuscrit d'abbaye.

Je sentais ses cheveux avancer entre mes jambes et, dans le point de rencontre de celles-ci, son souffle chaud.

- Mange. Si tu arrêtes, j'arrête.

Viande fraîche et mariné avec des nuances de saveurs aigre et salée. Avec grand plaisir, nous avons tout mangé.

*petits piments verts piquants typiques de la ville de Padrón, de la province de La Coruña, en Espagne.

 

# 1. Ton oubli et mes souvenirs.
 
                               Photo: Pascal Avril

Dans un lieu perdu du monde, tu es perdu, et je le suis aussi, avec toi. Perdue sans toi, je me trouve à tes côtés, en attendant.

 Te rappelles-tu, mon cher, de notre premier foyer? La lumière tombait à l'intérieur, elle était si abondante et s'écoulait partout. Cette lumière avait comme prix de monter cinq étages, ce qui n'était rien à l'époque. Je les montais sans perdre le souffle quand nous les montions ensemble. Tant de fois comme nous montions, tu interrompais la conversation :
 - Ces jambes qui te tiennent, mon aimée, font l'envie du Parthénon. Il n'y a pas de toile à Paris qui montre une telle merveille.

Tu m'as fait découvrir des plaisirs éternels.

 Tu me parlais de la chaleur.
 - Qui te caressera comme moi, si ce n'est pas le soleil ? - tu me demandais.
 Dans les après-midi oisives de nos printemps, tu brossais mes cheveux sur la terrasse tandis que tu me racontais des histoires, et tu me caressais avec ta respiration chaude sous ma tresse. Combien de fois nous nous sommes mangés avec frénésie!


 Tu me parlais de l'air.
 - Sens son odeur, sens comment il avance sur ta peau, comment l'air froid la tend et le tiède la calme.
Les chaudes nuits de nos étés, le linge tendu sur les cordes en face de la baie vitrée, l'air reprenait la brise la plus douce, et remplissait la maison d'un parfum frais de savon, qui se mélangeait avec celui des huiles. Tu étendais le matelas sur le sol, dans le courant d'air, pour m'offrir toutes ces caresses.

Tu me parlais de la lumière.
 - L'horizon nous pouvons le dessiner avec nos désirs les plus ardents. L'obscurité n'existe pas, ce n'est que l'absence de lumière. Les ombres sont la constance de notre présence, changeante et passagère.
Nous nous amusions à inventer des histoires avec les ombres que les vêtements faisaient sur les murs et le plafond. Tes contes fantastiques m'emportaient par la main dans des paysages enfantins du pays des merveilles. Tu me faisais rire, et tu embrassais mon rire.

 Tu me parlais du silence.
 - Rien ne doit être absolu. Nous pouvons apprécier le silence que quand un petit bruit l'interrompt. Les voix de ces gens qui viennent de fêter et marchent dans la rue, depuis que nous commençons à les écouter jusqu'à ce qu'ils s'éloignent et se perdent à nouveau, nous donnent la mesure de la profondeur de ce silence, et de sa valeur.  Le reste de ce silence, tu l'ornes avec ta respiration.  Que le silence souhaiterait tisser comme tes soupirs tissent!.
Et puis tu te taisais.

 Tu me parlais de la couleur.
Les après-midi dorés de nos automnes, enceintés de teintes ocre, sienne, terre cuite et moutarde, étaient le cadre de nos promenades et le centre de ta palette.
 - J'ai besoin de la fougère de tes yeux et du corail de tes lèvres pour que le reste brille.
 Et dans tes toiles j'apparaissais couchée en dormant, je cousais sous les branchages, je me lavais assise...

Tu me parlais de l'espérance.
Dans les matins frais de nos hivers, en prenant dans les bras la couverture dont tu m'enveloppais, tu m’emmenais dans la cour recevoir le nouveau jour avec toi.
 - Ce jour est nouveau pour nous, et nous sommes nouveaux pour lui. Il ne sait pas si nous nous sommes trompés hier, si nous avons fait du mal ou nous l'avons subi. Faisons que le souvenir que ce jour garde de nous soit le meilleur.

Aujourd'hui, tu es perdu et je le suis aussi avec toi, sans espérance ni désespoir. Tu es arrivé vers moi comme un grand coffre plein de surprises que tu as jonché autour de moi, un coffre de trésors interminables. Et dans ces jours d'une saison inconnue et insensée, mon amour, mon existence s'habille avec les trésors que tu m'as donné toutes ces années.
Je peux seulement faire une chose : les prendre dans mes mains et te les montrer, à moi de te raconter maintenant avant que je les garde dans le coffre, d'où ils sont sortis. Ils ne sont pas pour partager si ce n'est qu'avec toi, puisqu'ils n'appartiennent qu'à nous deux. La chaleur, l'air, la lumière, le silence, la couleur, l'espérance ... chacun a le sien.

 Je te dois une histoire fantastique de héros et de fées. Je suis celle que tu as créée, je suis ta plus grande oeuvre. Tu disais que tu existais à travers moi. Maintenant je te crois. Maintenant je te comprends. Je ne souhaiterais pas une vie différente, si j'avais le choix. Quand tu ne seras plus avec moi, je passerai mes jours enlacée à nos trésors, tranquille. J'attendrai comme quand j'attendais à la gare, avec mon petit balluchon sur mes jambes, avec la joie de savoir que dans peu de temps je serai en ta compagnie.

Je te soigne avec le zèle qu’on apporte à un nouveau-née. Il n'y a pas une grande différence... tu es si fragile!
 Je prends ton visage entre mes mains et je me mets en face de toi. Je te caresse, je te souris, et ton regard s'éclaire. Est-ce ainsi que tu souris maintenant, mon amour? Oui, peut-être. Sais-tu qui je suis? Comme nos enfants savaient qui nous étions quand ils ne savaient même pas qui ils étaient, ainsi toi - j'en suis sûre - tu sais qui je suis. Je t'aime, je t'aime avec mes tripes, mon amour, et peu n'importe si maintenant tu n'es que l'oubli; moi, mon cœur, je suis tes souvenirs.